A Butembo à l’est de la Rd Congo, des Ong tentent de pousser les femmes à ne plus danser pour les politiciens en échange de quelques sous, une pratique qui les dévalorisent. Mais dans l'actuel contexte de pauvreté, leur combat a du mal à trouver un écho…
"C’est Dieu qui t’a choisi. Bienvenue chez nous, on est là pour toi…" C’est rangé devant le tarmac du petit aéroport de Butembo, au nord de Goma (Nord-Kivu), qu’un groupe de femmes chantent à tue-tête ce refrain louangeur. L’homme qu’elles sont venues accueillir est un "honorable" comme on aime à le dire en Rd Congo, c’est-à-dire un député. Il rentre ici dans son terroir en vacances parlementaires, au moment crucial de la révision du fichier électoral pour les prochains scrutins, prévus en novembre (présidentielle et législatives). Devant une foule nombreuse qui les applaudit, les danseuses mises à l’avant de la scène et moulées dans l’uniforme du parti du député, rivalisent de gestes sous un soleil ardent.
A la descente de l’avion de leur hôte, l’une d’elles se détache du groupe, rompt le cordon de sécurité et va étaler son pagne à ses pieds. Un geste qui soulève les acclamations des autres femmes et de la foule. Elle est gratifiée d’un petit billet vert de 100 $, que le député lui remet de manière ostensible. Une pratique très courante dans le pays, surtout en période électorale ou de tournée d’hommes politiques, que dénoncent aujourd’hui des Ong locales de défense des droits de la femme. "C’est vraiment dommage qu’elles acceptent que l’on se servent d’elles comme simple décor", enrage la présidente du collectif des femmes journalistes de Butembo, Rose Tumobeane.
Une exploitation surannée
Rose parle d’une exploitation de la femme par les politiciens. Elle n’accepte pas qu’elles passent des journées entières à "s’exhiber juste pour gagner un pagne ou une boisson sucrée." Durant la révision du fichier électoral, ces pratiques se sont accentuées lors des opérations d’enrôlement des électeurs, moment choisi par les futurs candidats pour afficher ouvertement leurs ambitions politiques. Les appels des Ong féministes pour faire prendre conscience de ces manipulations aux femmes et y mettre fin se sont révélés vains. "Nous avons plaidé pour qu’elles arrêtent de se chosifier mais nous n’avons pas été écoutées", se désole Cathy Furaha, présidente des “Femmes juristes pour les droits de la femme et de l’enfant”.
Pour nombre de ces Ong, c’est la pauvreté qui pousse ces femmes à se laisser manipuler de la sorte. Selon Marie Specose Wasukundi, psychologue et enseignante d’Université, certaines d'entre elles croient, depuis qu’elles font petit à petit l’apprentissage de la politique, "qu’agir de la sorte est aussi une façon de se rendre utile" dans leurs partis politiques. "Elles pensent augmenter leurs chances d’être repérées pour un éventuel poste. Mais c’est de la naïveté", rétorque Kathy Furaha.
Chargé de la mobilisation au comité urbain du PPRD, le parti présidentiel, Isaac reconnaît que la pauvreté y est pour l'essentiel. Après de telles cérémonies, ces femmes sont gratifiées pour avoir agrémenté l’accueil, dit-il. Mais "cela ne signifie pas qu’elles n’ont rien [d’autre] à faire dans le parti." De toute manière, "tout le monde ne peut pas tout faire", affirme Kaswera Mwenga, qui faisait partie des femmes venues animer début août, la sortie officielle à Butembo de l’UDCF, un nouveau parti politique.
Non au populisme
Pour de nombreux critiques, cette "utilisation" des femmes comme simples éléments de décor pose le problème du rôle qu’elles doivent jouer en politique. Pour que cela change, Jean Mwaka, un ancien politicien aujourd’hui devenu pasteur, estime qu’il faut d’abord "moraliser" la classe politique congolaise. "On doit abandonner la culture du populisme", dénonce-t-il. Dans les vieilles démocraties occidentales, "on ne demande pas aux citoyens de venir danser lors des tournées des leaders politiques, chacun s’occupe de son travail", dit-il.
Pour Rose Tuombeane, plutôt que de s’acharner à sensibiliser les femmes, il vaut mieux "tirer les oreilles" des responsables politiques pour qu’ils donnent une autre place aux femmes dans leurs partis politiques. "Ainsi, elles n’auront plus pour simple tâche d’aller danser" lors de l’accueil des politiciens.
Kennedy Wema
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