RWANDA
19-07-2011
Rwanda : les sourds-muets commencent à se faire comprendre
Stigmatisés dans certaines familles, à l'école et sur le marché de l'emploi, certains sourds-muets réussissent malgré tout à étudier et à créer de petits commerces. Ils montrent ainsi au reste de la société rwandaise qu'ils peuvent communiquer et être indépendants comme tous les autres citoyens.
Dans une annexe d’une église protestante à Kigali, tous les fidèles fixent des yeux Marie Goretti, car cette prédicatrice est sourde tout comme l'assistance. "Éteignez vos téléphones nous sommes dans la maison de Dieu !", fait-elle signe. Parmi les paroissiens présents, Ntigurirwa vient de finir sa licence en gestion dans une université de Kigali. Elle qui s’exprime en langue des signes, juge l'expression "sourd-muet" péjorative et insiste sur ceux qui essaient de parler et communiquent malgré leur handicap.
À la fin du culte, les quelques sourds qui étudient à Gatagara, non commun des écoles pour handicapés fondées par les Frères de la Charité en 1983, et d'autres paroissiens de Kigali expliquent, grâce à une interprète, qu’ils sont victimes du mépris de la société. "Nous fournissons un grand effort pour réussir les études, mais la société reste discriminatoire, car nous ne savons pas nous exprimer avec des mots", fait remarquer une sourde qui étudie à l’Université libre de Kigali.
Ceux qui sont à la fois sourds et muets se sentent en effet souvent oubliés dans certains services qui ne connaissent pas la langue des signes. "Il est difficile d'aller nous faire soigner. Le médecin lui-même ne nous comprend pas !", déplore Nyiraminani. Quant aux campagnes de lutte contre le sida ou pour le planning familial, même les volontaires de santé placés au niveau du village pour parler des causes de certaines maladies ne savent pas communiquer avec les sourds-muets...
Famille, études, emploi
Cette communauté se dit également discriminée au niveau familial. À l'image de Chantal, 14 ans. "Ses parents l'ont abandonnée toute jeune. Ils s'en sont sans doute débarrassés parce qu'ils ne voulaient pas de cette 'chose' qui ne parle pas !", estime Marie Goretti, orpheline, qui a accueilli Chantal chez elle.
En résumé, pour ces enfants, tout semble plus compliqué au quotidien… En classe, ils doivent être attentifs aux mouvements de la bouche de leur professeur pour essayer de comprendre quelques mots. "Heureusement, note un enseignant de Gatagara-Butare, les autres étudiants s'habituent vite à leur langage. Et, quand je dis quelque chose de très important, je demande à un camarade assis à côté d'eux de leur expliquer en langue des signes. Il faut même être vigilant, car pendant l'examen certains trichent en se faisant des signes !" Mais, les professeurs qualifiés manquent. "L'Institut supérieur de l'éducation (KIE) qui forme des professionnels en pédagogie n'a pas de programmes spécialisés", explique un professeur d’université.
Ceux qui travaillent dur et obtiennent de bons résultats dans leurs études ne sont pas au bout de leurs peines... Jeannette, qui a eu la première note de sa faculté de gestion en février passé affirme : "La Banque de Kigali, puis la Brasserie et limonaderie du Rwanda (BRALIRWA) qui m'avaient appréciée grâce à ma note ont refusé de me donner un emploi quand ils ont appris que j'étais sourde !" Jeannette avait été admise dans une université publique comme boursière après avoir réussi l’examen d’État. C’est par cette voie que la plupart des handicapés accèdent aux études supérieures en passant par Gatagara.
Petits entrepreneurs
D'autres, comme Parfait Rwaka parti apprendre l'informatique au Kenya, empruntent d'autres chemins. De retour de l'école secondaire, à 31 ans, ce jeune sourd se dit prêt à se lancer dans un petit business de vente de courant électrique. Cela devrait au départ lui coûter environ 1,5 million de Frw (2 500 $ environ) pour commencer. "J'achèterai l'ordinateur, la photocopieuse et le scanner. Cela m'évitera de mendier !" Il n’est pas le seul à investir comme entrepreneur. Une association d'une dizaine de vendeurs de malles réunis à Muhanga (Sud) attire les clients, curieux de voir comment ces personnes réussissent à communiquer et à commercer. "Pour discuter les prix avec ceux qui ne sont pas habitués à leur langage, ils écrivent sur un papier et l'acheteur répond, ainsi de suite. Ou, quand un client arrive tandis qu'ils sont distraits, nous leur faisons signe", explique un commerçant.
Diverses initiatives viennent compléter cette débrouillardise. Jolanda, une volontaire hollandaise a par exemple ouvert il y a trois mois à Kigali une école pour sourds-muets. Quelque 20 personnes y apprennent la langue des signes. Petit à petit, ces dernières sont moins marginalisées. Même la télévision rwandaise introduit actuellement des interprètes spécialisées dans ses émissions. Dernièrement, cette chaîne a diffusé des images d'un mariage entre sourds. Une première.
Jean de la Croix Tabaro
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